Article - Voulons-nous vraiment de vraies élections ?

Posté le 16/10/2019 dans geen categorie, Non classé @fr.

La réflexion scientifique sur la démocratie est fortement influencée par le climat politique. Lorsque les électeurs votent pour l’ordre existant, les élections et les référendums sont bons. Lorsque l’électeur est émancipé et qu’il commence à penser indépendamment des dirigeants, il devient un danger qu’il faut neutraliser.

 

Oh, cet électeur stupide tout de même…

La démocratie est-elle en crise? Maintenant que l’électeur choisit plus librement le parti qu’il préfère, les intellectuels écrivent des livres contre les élections. Quand les élections seront-elles à nouveau prise en estime ? Simple: lorsque l’électeur arrêtera de faire les mauvais choix.

La démocratie est en crise, affirment souvent les commentateurs. Mais cette crise ne consiste-t-elle pas principalement dans le fait que de plus en plus de personnes votent pour le ‘mauvais’ parti? Mauvais aux yeux de ces commentateurs, bien sûr.

 

L’électeur émancipé

Pendant longtemps, la plupart des électeurs votaient toujours pour le même parti. C’était souvent le parti pour lequel leurs parents votaient déjà. Il y avait peu de concurrence sur le marché électoral. Un cartel de partis traditionnels se répartissait le pouvoir.

Les électeurs, aujourd’hui émancipés, réévaluent chaque fois leur choix. En conséquence, le pouvoir des partis traditionnels s’en trouve réduit. Pour paraphraser le vieux slogan du GB: « La confiance des électeurs, cela se mérite à chaque élection ! » La démocratie a atteint sa maturité.

 

C’est maintenant que des intellectuels écrivent des livres « contre les élections ». Quel électeur stupide. Il est beaucoup trop changeant. Il ne fait que suivre les « populistes ». Il est manœuvré par les ‘fake news’. Il ne comprend plus que seuls les partis traditionnels veulent le meilleur pour lui. Abolissons donc ces élections. Il serait préférable que désormais les « experts » décident. Ou des « comités de citoyens » sélectionnés par tirage au sort. Toute une industrie est apparue autour d’alternatives possibles aux élections: experts, panels de citoyens, tables-rondes pour le climat, démocratie délibérative, démocratie participative, etc. Quand il s’agit de court-circuiter l’électeur contrariant, la créativité bat son plein.

Maintenant on dira : si les élections sont autorisées à continuer, elles ne sont pas, pour autant, la panacée. Aurait-on dit cela si les électeurs n’avaient pas commencé à voter en masse pour les ‘mauvais’ partis tels que Vlaams Belang et PTB? Bien sûr que non !

 

L’électeur a fait de plus en plus de « mauvais choix » au cours des dernières décennies

Il faut bien admettre que la réflexion scientifique sur la démocratie est fortement influencée par le climat politique. Dans les années 1960 et 1970, les spécialistes des sciences sociales fulminaient contre la pilarisation. La grande influence des partenaires sociaux et des groupes de pression sur les politiques fut sèchement qualifiée de « néo-corporatisme ». Au lieu de cela, il fallait donner le pouvoir au citoyen.

Dans les années nonante, ce discours a été repris par la droite. Il était à la base des manifestes citoyens de Guy Verhofstadt. Mais lorsque le me

ssage a percé, les spécialistes des sciences sociales ont soudainement changé le fusil d’épaule. Exit le « néo-corporatisme », pour faire place aux bénédictions du « middenveld ». Cet extrémiste de Verhofstadt pensait-il que des politiciens élus démocratiquement pourraient prendre, sans plus, leurs propres décisions? Pas question.

 

L’hystérie anti-référendaire

Ou prenez l’attitude envers les référendums. Dans le passé, ils étaient considérés comme le summum de la démocratie. Les gens regardaient la Suisse avec admiration. Il y a aujourd’hui une cabale contre les référendums. Un référendum est maintenant considéré comme un instrument trop brut. Vous donnez trop de pouvoir à l’électeur facilement manipulable. Qu’est-ce qui a changé?

Cet électeur a fait de plus en plus de ‘mauvais’ choix au cours des dernières décennies. Contre les minarets en Suisse. Ou pire, contre la sacro-sainte Union européenne. Abolissons donc ces référendums.

 

Un autre exemple. À l’époque de la nouvelle culture politique, on préconisait l’élection directe du bourgmestre. De cette façon, on donnait plus de pouvoir à l’électeur au niveau local. Jusqu’à ce qu’on se rende compte que cela pouvait amener un Filip Dewinter au pouvoir à Anvers. Alors, adieu l’élection directe du bourgmestre.

 

Quand les élections retrouveront-elles leur gloire passée?

Entre-temps, on a bien progressé en Belgique sur le chemin de la suppression des élections. En faisant coïncider plusieurs élections, on ne laisse voter l’électeur émancipé que tous les cinq ans. Et quid si cet arrangement est mis en danger à cause d’une crise gouvernementale, comme en décembre dernier? C’est-à-dire, quand une élection anticipée devient démocratiquement inévitable? Alors il suffit de mettre cette démocratie en attente, pendant une demi-année.

 

Quand les élections retrouveront-elles leur gloire passée? Simple: lorsque l’électeur arrêtera de faire les mauvais choix. On applique la devise: si vous n’aimez pas le résultat des élections, supprimez-les.

 

Bart Maddens

Professeur en sciences politiques à la KULeuven

Ce texte est notre traduction d’un article paru le 5 avril 2019 sur vrtnws.be

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