Article - Démocratie déléguée : mettons les technologies de l’information au service de la démocratie

Posté le 13/02/2017 dans geen categorie, Non classé @fr, Non classé @fr.

Les signaux d’alarme, invitant à repenser notre modèle démocratique, ne manquent pas. Les progrès technologiques permettent d’envisager des modèles plus perfectionnés. L’auteur de cet article en propose un : la démocratie déléguée. Celle-ci combine les avantages de la démocratie représentative classique et de la démocratie directe. Elle respecte la place des partis, mais elle réduit leur « toute-puissance ». Le citoyen peut choisir entre les élections classiques, dans l’isoloir, ou l’octroi d’une procuration nominative révocable à un parlementaire.
 

Fracture entre le citoyen et le monde politique

Il y a longtemps qu’une fracture se manifeste entre le citoyen et le monde politique. Il faut, semble-t-il des crises pour que les décideurs acceptent de se mettre en question : par exemple, quand les partis dits « extrémistes » voient leur popularité exploser. Quelle catastrophe faudra-t-il pour que le monde parlementaire fasse sa reconversion ? Dans les années ’30, tout le monde se rendait compte que la montée du nazisme représentait un danger pour la paix et la démocratie, mais combien de décideurs politiques étaient-ils prêts à en tirer les conclusions ?

Le peu de pouvoir dont dispose l’électeur, celui d’exprimer sa préférence pour des candidats, est neutralisé par le système dévolutif des votes en case de tête, comme nous l’expliquions dans notre article à ce sujet.

Lors de sa conférence du 21/11/2016 à l’ULB, M. fait remarquer que le modèle de démocratie installé dans nos pays, n’est plus en phase avec la mentalité moderne : « Nous abordons les problèmes du 21ème siècle, avec des procédures du 20ème siècle, et dans un cadre idéologique du 19ème siècle. »

Il faudrait dire que certaines procédures datent du 20ème siècle … avant J.C. À l’époque on était déjà capable de réunir physiquement une assemblée et de compter les mains levées. Quand mettrons-nous les technologies digitales véritablement au service de la démocratie ?
 

La démocratie déléguée, en 10 points

On oppose souvent démocratie représentative à démocratie directe. Il existe pourtant une solution qui combine les avantages de ces deux modèles prétendument antagonistes. Nous l’appelons la démocratie déléguée :

  • Le citoyen-électeur peut choisir entre (A) l’attribution d’une procuration nominative (cf. n°2), ou (B) le vote anonyme classique. Des élections sont organisées, comme à présent, pour les citoyens qui préfèrent voter dans l’isoloir.

Le vote (B) équivaut à une procuration irrévocable, jusqu’aux élections suivantes, au profit du parti ou du candidat de son choix. L’électeur peut voter pour plusieurs partis et/ou candidats, y compris en panachant. Dans ce cas, les partis et/ou candidats recevront chacun une fraction de procuration.

  • Le processus électoral fait largement appel aux technologies digitales pour gérer le registre des procurations.

Comparé aux technologies mises en place pour gérer, par exemple, les comptes bancaires, le système requis ici est bien plus simple.

  • Chaque citoyen avec droit de vote peut se faire représenter au parlement par n’importe quel autre citoyen-candidat. Le vote (A) consiste à donner procuration à un (seul) candidat, ou à retirer la procuration pour la transférer à un autre candidat, à n’importe quel moment.

L’Atlas Politique de WeCitizens (ou d’autres initiative semblables) permet à tout candidat de se faire connaître et d’afficher sa position par rapport aux questions politiques qui intéressent les citoyens. Le GPS électoral ou la fonction de « recherche avancée » de l’Atlas Politique permettent au citoyen-électeur de trouver facilement qui sont les candidats avec lesquels il a la plus grande affinité politique.

  • Un candidat ne peut participer au vote au parlement, et obtenir une rémunération de parlementaire, qu’à partir du moment où il détient un nombre de procurations minimum.

Afin de faciliter « l’accès à la profession », le seuil pourrait être plus petit les premières années. L’entrée (ou la sortie) du parlement ne doit pas nécessairement se faire lors des échéances électorales (B).

  • Un candidat peut céder ses procurations à un autre candidat. L’électeur qui a choisi le système (A) est averti de la cession.

Ces cessions permettent le regroupement des procurations détenues par des candidats qui n’atteignent pas le seuil d’accès au parlement.

Il est interdit de se faire rémunérer pour la cession, mais le cédant peut demander le remboursement des frais de campagne électorale dans les limites prescrites par la loi.

  • Au parlement, le poids de chaque parlementaire est proportionnel au nombre de procurations qu’il détient. En cas d’absence, le parlementaire peut donner procuration pour voter en son nom.
  • Les parlementaires sont libres d’adhérer ou non à un parti.

La possibilité d’entrer au parlement sans dépendre des partis change le rapport entre le parlementaire et le parti. Les parlementaires ne sont plus (tous) des simples exécutants de décisions prises par leur parti. Les partis pourront se distinguer, entre autres, par le niveau de discipline de vote exigé à leurs membres, par le code éthique, etc.

  • Il n’y a plus de circonscriptions électorales.

La loi détermine qui a le droit de participer au vote : par exemple, seuls les résidents de la Région-Bruxelles-Capitale peuvent participer à l’élection du Parlement bruxellois.

Les partis peuvent déposer plusieurs listes « régionales » : par exemple, une liste par province. Mais un électeur peut voter pour n’importe quel candidat sur n’importe quelle liste régionale.

On fait l’économie des calculs compliqués (comme la méthode d’Hondt) pour reporter d’une circonscription à l’autre les voix d’un même parti.

  • Le parti cède les procurations anonymes reçues (B) à un ou plusieurs parlementaires, selon les règles qu’il décide. Cette cession, elle, est nominative et révocable.
  • La formation du gouvernement exige une majorité simple au parlement. La révocation du gouvernement exige, en revanche, une majorité spéciale de deux tiers du parlement.

Ceci contribue à un pouvoir fort, capable de prendre des décisions cohérentes, fussent-elles impopulaires.


 

Comparaison avec la démocratie représentative classique

La démocratie déléguée conserve les avantages de la démocratie représentative. Le parlement est composé de professionnels de la politique, qui disposent donc du temps pour suivre les travaux parlementaires et juger avec plus de discernement les questions complexes. Les parlementaires se regroupent par partis, ce qui permet de construire plus facilement une majorité pour désigner le gouvernement.
 

Partitocratie

La démocratie déléguée offre une certaine protection contre la partitocratie. Le pouvoir excessif des partis vient de ce que nul ne peut faire une carrière politique sans se soumettre à l’autorité d’un parti. Les partis ont confisqué le (peu de) pouvoir du citoyen. Ils décident qui sera éligible (en ordre utile) pour le parlement. Ils font obstruction à toute forme de participation délibérative des citoyens à la décision politique.

En démocratie déléguée, les candidats peuvent récolter des procurations et les céder à qui ils veulent, afin de permettre à l’un d’entre eux d’accéder au parlement. Il devient donc réaliste d’entrer au parlement sans le soutien d’un parti.
 

Comparaison avec la démocratie directe

La solution proposée garde le principal avantage de la démocratie directe : la voix du citoyen (A) ne pourra pas servir pour voter le contraire de ce qu’il veut.

Si demain on vote sur un sujet qui me tient à cœur, et que mon représentant ne défend pas mon point de vue, je lui retire la procuration et la donne à un autre parlementaire.

Ce pouvoir permanent donné aux citoyens (ayant opté pour A) peut dynamiser le paysage politique. Aujourd’hui les citoyens ont conscience de n’avoir pratiquement aucun pouvoir, et se démobilisent en conséquence. Dès lors qu’ils peuvent influencer le processus législatif, cela les motivera pour constituer des mouvements de pression. L’électeur sera averti par les mouvements citoyens de son choix, lorsque son intervention sera requise.
 

Comparaison avec la démocratie fluide

La « démocratie fluide » promue par les partis pirates est le modèle le plus proche de celui préconisé ici. La démocratie fluide est plus complexe en ce qu’elle permet de désigner un représentant par matière : p.ex. un pour la fiscalité, en autre pour le développement durable, etc. Elle ne prévoit pas de seuil pour accéder au parlement. On lui reproche une instabilité, parce que l’effet « démocratie directe » générerait des décisions incohérentes, sous l’effet de campagnes émotionnelles. Le fait d’avoir des délégués différents pour des matières politiques distinctes, empêche parfois de prendre des décisions qui intègrent une vision d’ensemble.  La démocratie déléguée y remédie grâce au « filtre » du délégué, professionnel de la politique.
 
Jean-Paul Pinon, 9 février 2017.

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