Article - Contrôle citoyen sur l’action publique

Posté le 16/10/2019 dans geen categorie, Non classé @fr.

Le citoyen n’est pas impuissant face aux abus de pouvoir politique dont il est témoin. Si la loi l’oblige même à dénoncer certains délits, cela ne garantit pas toujours un contrôle effectif. Dans certaines situations, les méthodes informelles sont plus efficaces. Nous parcourons ici l’arsenal à disposition du citoyen. Un congrès sur la question aura lieu à Bruxelles, très prochainement.[1]

 

Congrès SIA4Y à Bruxelles

En partenariat avec le Comité Économique et Social Européen et avec UCLouvain, WeCitizens organise les 6-7 novembre prochain deux demi-journées en anglais à propos du contrôle citoyen sur l’action publique[2]. WeCitizens est membre du consortium SIA4Y (Strengthening civil society rights by information access for European youth) qui promeut le droit d’accès à l’information administrative. Lors de ce congrès, on présentera un code de bonnes pratiques en matière d’accès à l’information du secteur public. Parmi les orateurs, on trouve des représentants de l’UNESCO, Transparency International, Parlement européen, etc.

 

Nécessité

Comme chaque année, l’enquête internationale « Edelman Trust barometer 2019 » montre que les gouvernants sont ceux qui inspirent le moins de confiance, parmi toutes les catégories examinées.[3] Nous observons deux attitudes des citoyens face aux scandales à répétition, tel que Optima (Gand), « Kazahgate » (Uccle), Publifin-Nethys (Liège), PubliPart[4] (Gent), Samusocial (Bruxelles), etc.

Les uns concluent que « tous les politiciens sont corrompus » et claquent la porte en se désintéressant (encore plus) de la politique.  D’autres, moins nombreux, se regroupent pour mieux défendre l’intérêt général. Ceux qui ont pris la peine de lire ces lignes, ne font probablement pas partie du premier groupe.  Par les considérations qui suivent, nous espérons en faire des citoyens plus actifs.  En effet, il n’y aura jamais une saine démocratie, si le citoyen omet de contrôler l’action publique.

La participation citoyenne est à la mode, et il est heureux que certains gouvernants prennent le temps de consulter la population, de faire jouer l’intelligence collective. Il y a des recoupements entre participation citoyenne et contrôle citoyen, mais ce sont deux démarches distinctes. Il nous semble que le contrôle citoyen est plus nécessaire.

 

Contrôles officiels

Les dépenses publiques sont légalement encadrées. Elles doivent d’abord entrer dans un budget, approuvé par les instances démocratiques : parlement, conseil communal, etc. Souvent, le pouvoir public est tenu d’organiser un appel à concurrence. L’approbation d’une dépense concrète, la commande, le paiement se font selon des procédures réglementées, qui permettent à l’organe exécutif d’en endosser la responsabilité.

L’Inspection des Finances doit donner son aval ‘ex ante’ pour chaque dépense. Les inspecteurs des finances ont une mission qui s’apparente à un audit. Ils jouissent en effet d’un pouvoir assez large dans le contrôle des recettes et dépenses publiques, et sont en particulier incités à suggérer les moyens d’améliorer la situation financière des administrations concernées (gouvernement fédéral, et entités fédérées)[5].

La Cour des comptes est chargée principalement de juger la régularité des comptes publics, contrôler l’usage des fonds publics par les ordonnateurs, les entreprises publiques, ou même les organismes privés bénéficiant d’une aide de l’État, et enfin d’informer le Parlement, le Gouvernement et l’opinion publique sur la conformité des comptes. Ses contrôles concernent les dépenses et les recettes des gouvernements fédéral, communautaires et régionaux, ainsi que des députations permanentes des provinces.[6]

Le contrôle officiel ne peut pas tout résoudre, entre autres parce que la séparation entre le contrôleur et le contrôlé n’est pas toujours suffisamment garantie.

Les citoyens paient donc des sommes considérables pour entretenir tous ces mécanismes de contrôle. Il faut reconnaître que cela donne globalement des résultats positifs. Mais il subsiste de trop nombreuses dérives, qui sont le résultat de négligences des contrôleurs, ou de stratégies complexes pour échapper aux contrôles.

 

Impunité

Parmi d’autres, nous pointons deux circonstances qui favorisent l’impunité et donc les abus. La première est la dilution des responsabilités. Les décisions font intervenir de multiples organes collégiaux, ce qui permet à chacun de s’abriter : personne n’est plus responsable de rien. La « sanction du citoyen » est inexistante (ou inopérante) à l’égard des acteurs politiques individuels. Aussi longtemps qu’il est couvert par son parti, l’acteur politique peut se permettre des négligences graves, des abus ou de l’incompétence dans l’exercice de son mandat politique.

Un autre facteur d’impunité est la marge discrétionnaire de tout décideur. Les dirigeants ne sont pas des robots, mais des personnes amenées à faire continuellement des arbitrages entre les intérêts des uns et des autres. Il est donc possible de commettre des abus (et cela peut concerner des budgets de milliards) en respectant les formes légales, et en étant donc à l’abri de toute poursuite judiciaire.

L’ancien Commissaire de la Police fédérale, dirigeant le Service centrale de Lutte contre la Corruption, M. Paul Meulemans, estime que la corruption des fonctionnaires engendre globalement un surcoût de 20% sur les commandes des pouvoirs publics. Dans ce scénario, les contribuables perdent 4 milliards d’euros par an[7] , soit donc 1.090 euros par ménage moyen.

Nous abordons maintenant les mécanismes de contrôle à disposition du citoyen.

 

Transparence ordinaire, via la presse

La nature humaine incite les personnes à privilégier leur intérêt personnel, avant l’intérêt collectif. L’éducation peut corriger cette tendance naturelle, en insufflant diverses formes d’idéalisme, appuyées sur des motifs altruistes et/ou religieux. Les acteurs politiques ont un devoir de privilégier l’intérêt général, puisque l’électeur les a élus pour cela, et qu’ils sont rémunérés pour servir l’intérêt général.

La transparence offre un (petit) remède lorsque l’idéalisme et le sens du devoir font défaut. La transparence réduit la distance entre l’intérêt personnel et collectif. En effet, si le mandataire nuit à l’intérêt général, cela se saura et cela pourrait nuire à sa carrière politique. Donc, le mandataire pourrait éviter les abus, par calcul.

On constate que suite à des campagnes médiatiques, certains politiciens sont acculés à démissionner. Nous nous réjouissons que la presse joue ici un rôle régulateur. Mais le mécanisme est très faible. Il ne peut pas être actionné tous les jours. Il ne vaut que pour des dossiers avec de grands enjeux. Si vous avez été injustement traité dans le cadre d’une procédure de recrutement ou de nomination, ne comptez pas sur la presse pour dénoncer l’abus.

De plus, la sanction est parfois très légère. L’affaire Donfut est typique. En mai 2009, Didier Donfut démissionne de son poste de ministre et se retire de la liste électorale socialiste. Il est en effet suspecté d’avoir perçu, par le biais d’une société dont il est l’unique propriétaire, des rémunérations annuelles d’un montant de 160 000 € de la part de l’intercommunale IGH (Intercommunale de gaz du Hainaut). Il pourrait ainsi s’agir d’un conflit d’intérêts par rapport à ses fonctions ministérielles. Quelques mois plus tard, le 27 octobre 2009, il est cependant élu président de ce même organisme, grâce au soutien des membres socialistes du conseil d’administration, majoritaires.

 

Le médiateur

Vous pouvez, gratuitement, vous adresser à l’ombudsman. Le médiateur fédéral ou régional cherche une solution à votre problème avec l’administration. Si votre réclamation est fondée, il essaye de convaincre l’administration de corriger la situation et d’éviter que le problème ne se reproduise. Grâce à votre réclamation, vous contribuez à rendre l’administration plus efficace.

En 2018, le Médiateur fédéral a reçu 4564 nouvelles réclamations.[8] Nous craignons que de nombreux citoyens renoncent à introduire une réclamation par crainte de représailles. Logiquement, le monde fonctionne mieux quand les gens défendent leur droit avec courage.

 

La justice

Les fonctionnaires doivent[9]dénoncer, au procureur du Roi, les délits et les crimes dont ils ont connaissance dans l’exercice de leurs fonctions. Une obligation similaire pèse sur les particuliers qui sont témoins d’un attentat soit contre la sûreté publique, soit contre la vie ou la propriété d’un individu.[10]

La Belgique s’est outillée pour récolter des dénonciations de fraudes sociales.[11] Mais elle est bien moins active pour dépister la corruption dans les services publics. 

Comme nous l’avons dit plus haut, de nombreux abus sont commis à l’abri de poursuites judiciaires. Soit parce que le pouvoir discrétionnaire dont jouit tout décideur a été utilisé à mauvais escient, soit parce que la justice n’a pas accès à des preuves suffisantes. De plus, de nombreuses dénonciations sont classées sans suites, par manque de ressources.

La piste d’un recours, introduit par la victime, présente deux obstacles pratiques : la durée et le coût. Si quelqu’un est abusivement écarté d’un marché public, et qu’il tombe en faillite par manque de commandes. Supposons qu’il obtienne gain de cause au tribunal six ans plus tard, où est la justice ? En ce qui concerne le coût, on se consolera avec la « répétibilité » des frais et honoraires d’avocat, obligeant le perdant à rembourser au gagnant du procès un montant destiné à couvrir en grande partie ce que le gagnant a dû payer à son propre avocat.

 

Le lanceur d’alerte

La dénonciation se fait de bonne foi et animé de bonnes intentions : elle vise un état de fait, une menace dommageable pour le bien commun, l’intérêt public ou général. La délation, en revanche, est inspirée par la cupidité, la haine ou le mépris.

Le lanceur d’alerte est souvent associé à une démarche qui va plus loin que la dénonciation devant le médiateur ou le procureur du roi. Éventuellement après avoir tenté en vain d’obtenir une réaction par la voie des instances officielles, il révèle le problème à une association ou un média, parfois contre l’avis de sa hiérarchie. Souvent le lanceur d’alerte contrevient à un devoir de confidentialité. Il estime nécessaire de commettre cette infraction, pour remédier à un abus beaucoup plus grave.

 

L’accès à l’information

Le citoyen n’est pas toujours conscient des droits qu’il a pour consulter les dossiers administratifs. Le revers de la médaille, ce sont les administrations qui refusent d’accorder l’accès légitimement réclamé par des citoyens. Pour éviter que le citoyen ne soit systématiquement victime d’un rapport de force défavorable, Anticor Belgique a développé le projet Transparencia.be. Le citoyen peut adresser sa question à l’administration publique via la plateforme internet de Transparencia. Tout le monde peut voir quelles instances refusent de répondre.

On pourrait considérer Transparencia comme une démocratisation du concept de question parlementaire. Mais la transparence administrative ne vaut que pour le passé : des actes administratifs. Pour questionner le monde politique sur les intentions futures, PoliticiansOnline offre une solution.

 

PoliticiansOnline

Nous avons vu que la presse induit une forme de contrôle social. Toutefois, la presse agit souvent dans une ambiance chargée d’émotions, ou dans la précipitation. Le Répertoire politique de NousCitoyens[12] est un canal d’information complémentaire. Les (groupes de) citoyens peuvent initier des « sondages du monde politique » c’est-à-dire poser des questions (fermées) aux acteurs politiques concernés. PoliticiansOnline publie donc les choix/intentions politiques des élus. Ceci constitue un outil précieux pour les activistes.

 

Droit d’interpellation

Le citoyen peut non seulement assister aux réunions du conseil communal, mais il peut en outre y poser une question.

 

Conclusion

La nature humaine étant ce qu’elle est, le contrôle des mandataires politiques sera toujours nécessaire. On pourra toujours améliorer l’arsenal de contrôle, mais ce qui manque peut-être le plus, ce sont le sens des responsabilités et le courage des contrôleurs. Et le contrôleur c’est d’abord vous, cher ami lecteur. Transparencia et NousCitoyens sont deux exemples de citoyens qui s’organisent pour défendre l’intérêt général. Leur « force de frappe » dépend du soutien (notamment financier) reçu de la population.

Jean-Paul Pinon, 14 octobre 2019.

 


[1] Cet article reprend largement l’article du même titre, publié en octobre 2017.

[2] Pour plus d’information : https://www.wecitizens.be/docs-en/I21-Flyer-SIA4Y-November.pdf

[3] Edelman Trust Barometer 2019, page 32, https://www.edelman.com/sites/g/files/aatuss191/files/2019-02/2019_Edelman_Trust_Barometer_Global_Report.pdf

[4] http://www.nieuwsblad.be/cnt/dmf20170212_02726024 : Dit moet u weten over het Vlaamse ‘PubliPart-schandaal’, Nieuwsblad, 13/2/2017

[5] Didier Batselé, Tony Mortier, Martine Scarcez, Manuel de droit administratif, no 965

[6] https://fr.wikipedia.org/wiki/Cour_des_comptes_(Belgique)

[7] De Morgen, 5 février 2016, Corrupte ambtenaren kosten elk jaar 4 miljard euro

[8] Rapport 2018 du Médiateur fédéral.

[9] Code d’instruction criminelle, art. 29 et 30.

[10] Christine Guillain, 6 janvier 2012, La portée et les limites de la dénonciation en matière pénale (dans : Justice en ligne)

[11] Le Point de contact central pour une concurrence loyale est une émanation du Service d’information et de recherche sociale (SIRS) : https://www.meldpuntsocialefraude.belgie.be/fr/.

[12] https://www.wecitizens.be/nl/politieke-databank/

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