Article - Catalogne : l’autodétermination des peuples en jeu
Posté le 12/11/2017 dans geen categorie, Meilleur fonctionnement de la démocratie, Non classé @fr. |
À qui appartient la Catalogne : à l’Espagne ou aux Catalans ? Le principe de l’autodétermination des peuples se retrouve dans plusieurs traités internationaux des Nations Unies. Dans la pratique, aucune procédure n’est prévue pour obtenir la sécession d’un pays existant. De nombreux peuples enclavés dans des pays où ils sont minoritaires, subissent un traitement indigne de ce 21ème siècle. Autant il était difficile pour les esclaves de faire valoir les Droits de l’Homme, autant les peuples sans État sont malmenés à travers le monde. En développant une procédure de sécession, les Espagnols pourraient être les précurseurs d’une nouvelle ère.
Le présent article ne prend pas parti pour ou contre l’indépendance d’un quelconque peuple, mais propose quelques considérations sur le processus démocratique pour exercer le droit à l’autodétermination.
Au moment d’écrire ces lignes, nous assistons à une triste escalade entre le Gouvernement de Madrid et les autorités de la Région autonome catalane. Le gouvernement espagnol brandit le Droit, la Constitution pour neutraliser les indépendantistes catalans. Le Droit est censé protéger la démocratie. Pour prétendre jouer ce rôle il doit se corriger quand des défauts du système mènent à l’impasse.
Veut-on défendre l’intégrité du territoire, ou le choix démocratique des gens qui y habite ? Telle est la question qui oppose tant de peuples. Tant qu’on ne respecte pas le principe d’autodétermination, on peut craindre encore de nombreuses guerres. L’ordonnancement juridique qui ferme la porte à l’autodétermination, se décrédibilise.
L’autodétermination des peuples, en théorieChacun jouit de toute une série de droits : la vie, la liberté d’opinion et d’expression, la langue, la propriété privée, la liberté d’association, etc. Si Pierre, Jacques et Jean jouissent individuellement de si beaux droits, pourquoi n’auraient-ils plus de droits lorsqu’ils sont pris collectivement ?
« Proclamé pendant la Première Guerre mondiale, le principe d’autodétermination des peuples a été réaffirmé après la Seconde Guerre mondiale dans la Charte des Nations unies de 1945 qui inclut, parmi « les buts des Nations Unies », celui de « développer entre les nations des relations amicales fondées sur le respect du principe de l’égalité de droits des peuples et de leur droit à disposer d’eux-mêmes » (article 1, alinéa 2), mais ne fut pas appliqué par l’Organisation des Nations unies car les accords entre Alliés étaient prioritaires.
Aujourd’hui non plus, la mise en œuvre de ce principe ne va pas sans difficultés car aucun texte ne définit clairement la notion de « peuple », de sorte que tant les États existants que les partisans des autodéterminations locales peuvent s’opposer des arguments valables. L’indépendance du Kosovo en 2008 a relancé le débat international sur l’application de ce principe. »[1]
L’autodétermination des peuples, en pratiqueQuand il s’agissait de donner l’inéluctable indépendance à de lointaines colonies, l’ONU avait un rôle plus confortable. La Cour internationale de justice a émis divers avis[2] qui confirment la primauté de l’autodétermination des peuples, sur les considérations historiques relatives au statut d’un territoire. Mais, en pratique, rien n’est prévu pour les peuples sans État, qui sont pourtant nombreux sur notre planète. Une ASBL de droit belge a été créée pour prendre la défense de ces peuples : International Center of People without State (ICPS)[3].
Les États établis s’accrochent à leurs prérogatives. De même qu’il était difficile d’invoquer les Droits de l’Homme dans un contexte où régnait l’esclavage, de même il est difficile pour les peuples sans État de faire valoir leurs droits. Or, dans la majorité des cas il s’agit de « peuples précarisés », car discriminés ou marginalisés. L’exode des Rohingyas pour fuir les massacres au Myanmar n’est qu’un malheureux épisode de plus.
Il y a des opportunistes peu scrupuleux qui basculent avec grande aisance d’un camp à l’autre pour préserver leurs intérêts. On a vu Vladimir Poutine défendre l’autodétermination des habitants de Crimée, quand cela lui permettait d’annexer cette province ukrainienne. Mais que fait-il de l’autodétermination des Tchétchènes ?
Malheureusement les choses sont rarement simples. Les indépendantistes flamands se revendiquent logiquement de l’autodétermination des peuples, mais cela ne s’applique pas aux communes « à facilités » ? Là le « Droit du sol » prend le dessus. Certains veulent supprimer, à terme, les dites facilités[4]. Ils disent aux francophones de Rhode-Saint-Genèse qu’ils sont en Flandre, et qu’ils sont libres de déménager si l’unilinguisme flamand ne leur convient pas. Les unitaristes belges pourraient rétorquer: « vous êtes en Belgique, et si notre Constitution ne vous plaît pas, vous êtes libres de déménager ». (Avec le même raisonnement on peut inviter les Kurdes à créer leur république sur la lune). A cela les indépendantistes flamands peuvent répondre que les Flamands constituent un « peuple », ce qui n’est pas le cas des habitants des communes à facilités. Mais les francophones des communes « à facilités » ne demandent pas l’indépendance, ils demandent de « corriger » le découpage territorial entre deux Régions. Etc, etc.
Réconcilier les conceptions opposées : la voie du dialogueCelui qui bafoue les aspirations humainement légitimes d’autonomie d’un peuple, commet une violence qui risque d’en engendrer de plus graves. Il faut donner aux gens un espoir, une perspective. Ce serait plus logique de le faire à l’échelle mondiale. L’ONU proclame le droit des peuples à l’autodétermination, mais il manque une procédure que n’importe quel peuple du globe pourrait invoquer pour acquérir l’indépendance.
Ce qui paraît difficilement acceptable est de faire dépendre l’indépendance d’un peuple de l’accord du reste du pays. Un tel ordonnancement n’est pas équitable et provoque un rejet croissant de la part d’une population éprise de démocratie. Prof. Alfred de Zayas rappelle que l’autodétermination est un droit fondamental des peuples. Il ne s’agit pas d’une faveur qu’un État peut décider d’accorder ou non.[5] Selon lui, la loi nationale doit être interprétée à la lumière des traités internationaux, y compris le principe suivant : « Tous les peuples ont le droit de disposer d’eux-mêmes. En vertu de ce droit, ils déterminent librement leur statut politique et assurent librement leur développement économique, social et culturel. »[6] Une personne lésée peut recourir au Comité des Droits de l’Homme des Nations Unies[7], qui devrait alors se prononcer sur le (non-)respect du Droit à l’autodétermination.
Majorité spécialeEn revanche, il n’est pas non plus raisonnable d’accorder l’indépendance à un peuple dès que 51% de sa population le réclame. Si l’année suivante, on organise un nouveau référendum et que 51% de la population se prononce contre l’indépendance, quid ? L’indépendance est une opération pratiquement irréversible. Pour une décision de cette nature, il est logique d’exiger une majorité spéciale, d’au moins deux tiers. C’est la majorité requise, dans la plupart des pays, pour la moindre modification de la Constitution. Or, une sécession mérite bien un traitement équivalent à une modification de la Constitution.
Pistes de solutions pour l’EspagneIl existe déjà certaines dispositions, dans le statut de la Catalogne, pour accéder à l’indépendance. Dans la mesure où les indépendantistes catalans semblaient ne pas obtenir la majorité spéciale requise au sein du Parlement catalan, ils auraient déclenché un mouvement en marge de la loi. Cet article ne prétend pas juger les décisions politiques.
En refusant tout référendum, les autorités espagnoles donnent un argument aux indépendantistes pour dénoncer, à tort ou à raison, un déficit démocratique. Les autorités espagnoles misent tout sur des élections législatives en Catalogne. Nous pensons que M. Rajoy aurait avantage à inclure le référendum comme moyen d’accéder à l’indépendance. Ce renouveau démocratique servirait de modèle pour le reste du monde, et donnerait un espoir à des centaines de millions de citoyens frustrés sur la planète. En plus M. Rajoy pourrait gagner sur tous les plans. En effet, il n’est pas évident que deux tiers des catalans réclameraient l’indépendance.
L’Europe a-t-elle un rôle à jouer ?On ne peut pas se retrancher dans un légalisme figé. On ne peut pas remplacer le droit d’autodétermination par la loi du statu quo. L’autodétermination n’est pas une question réservée aux colonies. L’Europe n’est pas à l’abri de ce type de revendications. On ne peut pas prétendre que notre ordonnancement légal est parfait et qu’il n’y a qu’à le suivre. Si les modalités d’exercice du droit d’autodétermination ne sont pas réglées, et connues de la population, il faut avoir la modestie de reconnaître la faille. Les leaders européens soucieux de regagner la confiance d’une population engluée dans l’euroscepticisme ne devraient pas tarder de prendre les mesures démocratiques qui s’imposent.
Jean-Paul Pinon, 21 octobre 2017 (retouché le 20 novembre 2017) [1] Wikipedia, « Droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ». [2] Voir p.ex. l’avis consultatif du 16 octobre 1975 sur le Sahara occidental. [3] www.icpsnet.com [4] Le Vlaamse VolksBeweging parle de “het voor ons heilige principe, namelijk dat de faciliteiten een tijdelijk middel zijn om zich in Vlaanderen te kunnen integreren”. Voir p.ex. la p.4 de http://www.vvb.org/file?fle=3418&ssn= . [5] UN independent expert urges Spanish Government to reverse decision on Catalan autonomy, http://www.ohchr.org/EN/NewsEvents/Pages/DisplayNews.aspx?NewsID=22295 [6] Pacte international relatif aux droits civils et politiques, article 1er, http://www.ohchr.org/FR/ProfessionalInterest/Pages/CCPR.aspx [7] Le Comité des droits de l’Homme est un organe de surveillance du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme, responsable du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et ses protocoles facultatifs. Le Comité a tendance à évoluer vers une judiciarisation accrue de son rôle, les tribunaux pénaux internationaux le qualifiant d’« instance judiciaire internationale ».
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